We have all the time we need ft. Casper

Naîvement, je me surprends à m'étonner de sa question. Elle est plutôt simple pourtant, mais cette curiosité qu'il dégagé à mon égard désormais m'interpelle. Un demi-sourire étire délicatement mon visage tandis que je caresse ses doigts avec délice. Sa peau est douce, j'en devine déjà les palpitations sans même avoir rien fait avec lui. Ce simple contact, ce fait de le toucher me suffit amplement à l'heure actuelle même si lorsqu'il parle je fixe ses lèvres avec hantise.
Mon esprit se met alors à crépiter , bouillonner car son interrogation m'interpelle. Je prends une mine contrarié, tord la bouche avec réflexion tandis que mes doigts s'écartent des siens pour venir masser les contours de ma mâchoire. Je laisse mon regard glisser sur les rebords poussiéreux des étagères environnantes sans me soucier du temps voir même du silence qui s'installe en planant au-dessus. Mon attention se porte finalement à nouveau sur lui; qu'est-ce-que je pourrais lui dire ? Qu'est-ce-que je peux le laisser découvrir sans le connaître totalement ?
Je me glace un instant prenant conscience du fait qu'il m'est encore étranger. Les sourcils froncés se détricotent lentement et je prends alors un air plus détendu. Celui d'un homme posé qui erre seul depuis de nombreuses années. Les mains dans les poches je m'encre face à lui; mes prunelles s'évertuent à maintenir le contact visuel alors que ma voix résonne à nouveau, comme le son d'une cloche qui sonne le glas.

- Elle est lourde, pesante... Mais je crois que je m'y suis fait. Les années passant on ne s'étonne plus de rien. La vérité c'est que j'ai l'impression que tout à un goût amer désormais. Tout est... fade.

L'extrémité de mes doigts furètent sur le rayonnage situé à ma gauche, j'inspecte un instant la poussière s'étant glissé dans les sillons de ma chaire avant de secouer la tête avec un petit sourire douloureux.

- Mais je suppose qu'on n'y peut rien. Tout finit par partir en poussière et il en va de même pour nos existences.

D'une respiration profonde je balaie les petits tas grisonnants inscris dans le creux de ma main pour mieux illustrer mes propos.
Je m'adosse contre les dos de livres semblant faire une véritable palissade, un soupire las m'échappe, ma tête penche lourdement vers lui. Je me mordille la lèvre un instant pour mieux rêver avant de reprendre mon sérieux.

- Tu n'as jamais eu cette impression ? De perdre totalement le goût des choses ?
De sentir que plus rien ne t'excite ?

Je parle, je parle, sans me soucier réellement des conséquences. A vrai dire cela me fait du bien de me sentir libre. Je n'ai plus de carcan étouffant qui m'encombre avec lui. Un peu comme avec Kokoro.
Mes iris noirâtres rencontrent les siennes comme un choc inévitable et je reste encore là, ayant hâte de boire ses prochaines paroles.

Le contact de ses doigts est chaleureux malgré Frost dont la peau glacée demeure comme inanimée. Son palpitant fonctionne correctement pourtant, s’affole parfois lorsqu’il se surprend à essayer de déchiffrer ces gestes anodins, ce comportement humain qui pourtant est si complexe. Voilà un personnage plus qu’intéressant de par son attitude. Les mots qu’il prononce le sont tout autant, énigmatique et pourtant rien d’anormal. Il y avait parmi les âmes errantes de cet hôtel, des êtres beaucoup plus anciens que ce siècle, même si Frost n’avait pas la moindre idée de celui dont il était issu. Fade, avait-il dit. Un choix de mot qui exprime à la fois l’amertume et l’embarras envers un état qui nous ennui. Le fantôme penche la tête, croise les bras et observe simplement en écoutant le dénommer Casper qui l’intrigue tant poursuivre sur sa lancée.

L’étagère poussiéreuse est la nouvelle proie de l’inconnu, pourtant si attrayant qui lui fait face. Son attention détournée, Frost a tout le loisir d’explorer du regard les traits fins de son visage, jusqu’à la courbe parfaite de ces lèvres. Il relève le nez, observe le geste accompagnant les paroles. Des existences qui prennent fin ? La seule chose qui lui vient en tête le fait sourire. Triste ? Soulagé ? Qui sait ? La lèvre mordillée de son vis-à-vis l’extirpe de ses pensées et il répond à son tour, sans bouger, plantant son regard dans le sien. Frost est assez direct, bien qu’il prenne un temps pour réfléchir avant d’hausser les épaules.

« Je pensais jusque-là que c’était le propre de tous ceux qui erraient ici. Mais à t’entendre, j’ai l’impression que cette éternité dont nous disposons à elle aussi ses limites » Etait-ce rassurant ou effrayant ? Comment avoir peur de la mort lorsqu’on l’a déjà affronté une fois ? Il laisse échapper un rire sans quitter Casper de ses orbes noires. « La question est plutôt pourquoi. Pourquoi perd-t-on le goût de ces choses et pas les autres. J’ai comme l’impression que nous sommes fait pour nous comprendre »

Il approche, réduit l’espace entre eux, se saisit d’un nouveau livre que le temps n’avait pas épargné. Il sourit, essuie la couverture recouverte d’une fine pellicule de poussière. Elle se volatilise aussitôt en quelques petits grains, presque féeriques dans le rayon de lumière filtrant au travers des galeries d’étagères. « Mais je suis d’avis qu’il y a parfois quelques petits plaisirs simples à ne pas ignorer tant ils sont si peu nombreux… dépendant de comment chacun les perçoit, je ne suis pas contre discuter autour d’un café »

Même si j'ai l'impression que cet ange venu d'ailleurs me parle par énigme, je ne peux me lasser de l'observer à la volée entre ses étagères. A mesure qu'il parle, mon regard totalement éperdu se pose sur ses lèvres avant de s'attarder sur sa nuque caché par une chemise légère. Je ne perd pas pied pour autant et esquisse de temps un autre un sourire alors qu'il s'évertue de parler. Sa façon de tourner les choses, de me les dévoiler, m'offre de nouvelles perspectives que je n'osais jamais entrevoir.
Il mentionne le fait que nous sommes "fait pour nous comprendre" et dès cet instant mon regard change, il devient plus sombre. Plus noir. Je le dévisage comme la première aurore que j'avais aperçu durant mon enfance. Ma salive coule avec peine mais qu'importe, mon coeur me fait mal, ma tête semble harponnée de toute part lorsque ma propre voix se déchaîne dans mon esprit embrumé.
Si tu savais ce que j'ai traversé... Si tu savais ce que j'ai tant espéré. Bien sûr que nous sommes fait pour nous entendre sinon personne ne t'aurait envoyé ici. Personne ne m'aurait laissé cette chance de te revoir comme auparavant car oui désormais je me souviens ! Je me souviens de la raison pourquoi tu éveilles quelque chose en moi dès que je te regarde mais il serait inutile de t'en parler.

Sortant d'une torpeur mordante, je triture ma cravate avec négligence pour mieux la défaire. En vérité quelque chose vient de s'ouvrir en moi; une porte scellée depuis bien longtemps. Même si je me dois de faire bonne figure un petit moment de blanc plane là la suite de sa proposition. J'inspire durement en me tournant face à lui.
- Je ne suis pas un homme facile à atteindre mais j'accepte ce café avec grand plaisir. Il serait temps que nous échangions davantage, cela ne pourrait être bénéfique que pour nous deux.

Mes doigts glissent contre les siens, et tandis que je range le livre avec aisance je me penche délicatement vers son oreille. Au passage mes lèvres légèrement entrouvertes soufflent chaudement contre sa joue alors que je m'empresse de respirer son odeur. Un parfum si délicat...

- Mon bureau est au deuxième étage, la dernière porte, si vous tenez à me chercher. Quand au rendez-vous disons simplement demain à 15h. Cette heure là est calme, le bar peut fréquenté, nous aurons tous le loisir de parler.

Tel un serpent fier de son petit coup sournois je m'écarte de lui avec aplomb, mes prunelles d'onyx plongés dans les siennes. D'un air respectueux je m'incline en saisissant sa main, je n'y dépose aucun baiser mais reste toutefois des plus courtois. Une fois cela fait je m'éloigne avec un souffle nouveau dans le coeur. Non loin de la porte je m'exclame dans sa direction. Impossible de retenir mon sourire : tout ceci était si inespéré.

- J'ai déjà hâte...

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